"On n'attire pas les mouches avec du vinaigre"





































Interview du 18 mai 2010 de Natacha Mercier par S. D. dans une serre du Museum d'histoire naturelle de la ville de Toulouse autour de la performance « On n'attire pas les ouches avec du vinaigre ! ».

S.D. : Natacha Mercier, vous êtes artiste plasticienne et vous travaillez depuis la sortie de vos études aux beaux-arts principalement sur le thème de la vanité, que vous déclinez aussi bien en peinture, installation et performance. Vous avez présenté les 7 et 8 mai derniers à Mix Art Myrys, à Toulouse, une exposition et performance intitulées « On n'attire pas les mouches avec du vinaigre ! ». Comment vous est venue cette idée, tout au moins, originale ?
N.M. : C'était en 2007, sur la Côte d'Azur ; j'attendais mon ami, côté passager, qui faisait le plein à une station service. En tournant la tête, j'ai vu une BMW magnifiquement « tunée » sur le trottoir d'en face... Un homme en est descendu, habillé tout de blanc et de doré, a fait le tour de sa voiture, s'est baissé, a craché dans sa main puis a astiqué sa jante alu.... Autour de lui, les filles « tombaient comme des mouches ». J'en faisais partie...
Cet homme montrait sa parure avec fierté, comme un paon ; il attirait l'attention de toutes avec un orgueil surdimensionné et c'est cette aura qu'il dégageait que j'ai décidé de récupérer dans cette installation avec la Mercedes et les mouches.

S.D. : Le vaniteux cherche alors à se faire admirer, à attirer l'attention ; mais qu'en est-il du courant artistique de « La Vanité » ?
N.M. : Une vanité est une catégorie particulière de nature morte dont la composition allégorique (crâne humain, le plus courant, bougies, sphères...) suggère que l'existence terrestre est vide, vaine, la vie humaine précaire et de peu d'importance. Le temps et la mort caractérisent principalement ce courant très répandu en Hollande aux XVIe et XVIIe siècles. Il y a un rapport étroit entre une mise en scène pour convoiter les regards et la peur du temps qui passe.

S.D. : Vous avez, pour votre performance à Mix Art Myrys, mis en scène une Mercedes garée dans une serre et enrobée de papier tue-mouches. Vous avez élevé des mouches pour les « lâcher » sur celle-ci. Quel est alors ici le rôle de la mouche et en quoi cet ensemble constitue t-il un tableau vivant de nature morte ?
N.M. : Tout d'abord, la mouche vint se poser sur le crâne dans les peintures des Vanités (je pense notamment au peintre Barthel Bruyn) non seulement comme symbole de mort, mais elle signifie également l'inutilité et l'inconsistance des biens matériels, des richesses, de l'orgueil. Elle est l'élément perturbateur du tableau et, souvent, le seul élément vivant dans la construction.
J'ai pensé que d'amener à voir des milliers de mouches tourner autour, se jeter puis se coller sur une automobile de caractère reflétait bien notre société contemporaine qui nous impose un modèle de canon de la beauté et de consommation à suivre.
Aussi, le noir des mouches, le jaune du papier encollé et le blanc du fond constituent un accord de couleurs très intéressant.

S.D. : Vous aviez aussi réalisé pour l'exposition une série de peintures monochromes gris grand format représentant des crânes. Ces peintures sont presque « crémeuses ». On ne perçoit le crâne qu'en le fixant puis en se détachant du tableau. Pourquoi avoir décidé d'accrocher ces toiles lors du lâcher de mouches ?
N.M. : Le crâne joue ici le rôle d'avertisseur moral : « Memento mori » : « Souviens toi que tu vas mourir ». Plus encore : Crois-tu qu'il est essentiel de posséder une belle voiture qui attire les mouches puisque la fin est inéluctable, puisque tu mourras ?

S.D. : En écho à cette mise en scène, en parallèle, un dessin de dix mètres était installé. Il représentait une limousine criblée de chiures mouches. Pourquoi et comment avez-vous réalisé ce travail ?
N.M. : La limousine se place au paroxysme de la vanité dans la gamme « automobile » et il n'est pas rare de retrouver des chiures de mouches sur nos carrosseries.
J'ai réalisé ce dessin au bitume de Judée qui est un mélange de pigments, d'huile de lin et d'essence de térébenthine. Il m'a fallu environ une centaine d'heures pour en venir à cette fin. Le fait qu'il soit placé en face de la Mercedes en latence impliquait une notion de « temps ». La chiure marron contrastait avec la brillance de l'enveloppe de la Mercedes.

S.D. : Venons-en à « La Parade ». Vous avez promené la voiture recouverte de mouches le lendemain du lâcher dans les rues de Toulouse. Comment avez-vous mené cette parade et comment le public a t-il réagi ?
N.M. : Il aurait été dommage de s'arrêter là, surtout que la Mercedes était en parfait état de marche. J'avais demandé à mon frère de conduire et à deux amies de jouer le jeu, à l'arrière. J'occupais la place du mort. Nous étions tous les quatre habillés de blanc et de doré. Un peu de rose et de bleu, aussi. La sono passait douze chansons populaires en boucle, brouillées par le bourdonnement des mouches. Les passants dans la rue ont eu diverses réactions : étonnés, enjoués, dégoutés. Dans l'ensemble, la Parade a été plutôt bien reçue...

S.D. : Quels sont vos projets à venir ?
N.M. : Imaginer un nouveau volet sur « On n'attire pas les mouches avec du vinaigre ! » avec, non pas cette fois une Mercedes, mais une limousine et continuer de travailler sur l'enterrement de mon Opel Corsa B de 470 000 kilomètres.
N.M. : j'ajouterai un grand merci à Mix Art Myrys, au Museum de la ville de Toulouse et à tous ceux qui m'ont aidée à réaliser cette pièce.

Images et son : Guillaume Bautista
 
60 litres d'asticots...                                   21 jours plus tard.










Habillage de la Mercedes : 40 heures de travail.














Lâcher de mouches sur Mercedes : environ 100 000 diptères au rendez-vous.









Parade dans les rues de Toulouse. Dix kilomètres.














































Exposition en cours une semaine avant la performance.














Sans titres. 120 x 150 cm. Acrylique sur toile.






Limousine criblée de chiures de mouches. 10 x 1,5 m. Bitume du Judée et encre sur papier.