Natacha Mercier, installations et performances

(...) Une petite fille qui faisait de la mécanique avec son père et qui adorait les bruits de moteurs et d’odeurs d’huile. Une petite fille qui aimait les histoires et les humains : un jour, son père raconte cet employé tout jeune qui avait organisé sa mort jusqu’aux moindres détails. Cette petite fille qui l’avait déjà cotoyée, la Camarde, écoute, fascinée et n’oublie pas. Natacha Mercier est grande et belle. La petite fille a grandi et cette histoire, elle la retrouve aujourd’hui. N’est - ce pas cela être artiste ? Retourner sans cesse aux racines, les décliner, en faire «quelque chose», transformer ainsi le passé en présent ? Le rendre vivant. Utiliser pour créer. Aujourd’hui Natacha Mercier veut enterrer son Opel Corsa, en faire une performance. On pourrait croire à un canulard...Mais si Natacha Mercier fait souvent preuve d’humour, il ne s’agit pas que de ça. Il y a une logique, une cohérence dans son désir, aux antipodes de la mort, même si...
Son parcours est un parcours de travail sur des thèmes sans cesse déclinés : des reliques aux étoiles, des publicités aux voitures, en passant par des images d’Epinal revues et corrigées. Qu’est - ce qui dure ? Qu’est - ce qui brille ? Qu’est - ce qui ne brille pas ? Que garde - t - on et que faut - il jeter ? Et puis quelles références avoir et qu’en fait - on ? Autant de questions fondamentales pour l’artiste comme pour l’humain. Natacha Mercier a le souci et le goût d’une certaine morale. Elle qui a lu ses fables !
Vous achetez une voiture. Elle est neuve. Elle va vous accompagner des années. Elle va faire des kilomètres et suivre votre vie, l’accompagner, à elle se mêler. Pleurs et rires dans la voiture, discussions, c’est comme dans un film de Sautet, sur fond d’essuie - glaces, un jour de pluie. Un autre jour, vous rabattez le pare - soleil malgré les lunettes noires, la voiture trace. Vous cherchez votre route : Est - ce ici ? Et puis, c’est la panne. Le bas côté, l’attente, la dépanneuse, le froid vous glace. Une autre fois, vous l’attendiez dans la voiture, l’être aimé, vous alliez le rejoindre, vous le perdiez. Clignotants, point - mort, frein à mains, vous coupez le moteur. La nuit est là. Vous ouvrez la portière pour mieux l’entendre encore, l’écouter. Un oiseau de nuit et le vent qui souffle dans les arbres de la forêt. Vous repartez. C’est fini. Il vous l’a dit. C’est vous qui avez claqué la portière. Et puis, il y a la fois où... Et la fois où... Tu te rappelles ?
Cet objet utilitaire, propre à notre société et qui peut - être de prix - «Tu sais combien elle a de kilomètres ? C’est bon, elle va rendre l’âme un de ces jours, c’est sûr. A la casse !» - n’en parle - t - on pas comme d’un être humain ? Sur le visage de Madeleine, le temps s’est imprimé, Madeleine, vieille femme croisée, photographiée et goûtée comme on goûté un fruit et qu’en sera - t - il plus tard, dans quatre ans, dix années ? «Aïe - aïe - aïe, comme le temps passe !» dirait Tchekhov. Comme il passe.
C’est aussi célébrer la vie de vouloir l’enterrer, cette petite voiture. Pour la cérémonie, Natacha Mercier a choisi des artistes et non des moindres ! C’est que tous sont sensibles à ce double langage : personnifier cet objet lié au vivant et lui rendre un hommage, le dernier."

Texte : Anne - Clélia Salomon Monge, écrivain et comédienne